Je croise parfois dans ces lieux de passage que sont les transports en commun, où les Hommes n'en sont pas vraiment, mais plutôt des éléments de décor ou des fantômes anonymes et silencieux, des personnes qui se détachent sur ce fond neutre, qui accrochent la conscience comme une minuscule excroissance accroche la soie.
Une grande femme coiffée d'une toque de fourrure est assise à côté de moi. Concentrée, grave, elle lit un magazine. Un article sur le cancer.
Un vieil homme est assis, dans le métro. Il est prognate, et porte fièrement un certain nombre de dents argentées. Il est impressionnant de vieillesse, on pourrait compter son âge au nombre de ses rides. Je suis moins sûre qu'on pourrait le faire au nombre de ses cheveux. Le métro s'arrête, l'homme se déplie d'un coup, et d'un pas leste, il enjambe agilement un sac qui trainait là, avant de disparaître.
Un jeune homme en noir est dans le métro, il ressemble vaguement à un assassin, avec ses gants. Nous descendons au même arrêt, et j'entends qu'il prend le même trajet que moi. Il cherche un moment son chemin, et nous parlons. Nous avons partagé pendant quelques instants éphémères la même vie de bohême improvisée, dans le RER qui nous menait par le même rail à des destinées différentes.
Une jeune femme au passage piéton gazouille "vite, vite !", un sourire jubilatoire de gamine dans la voix, pour la petite fille qu'elle tient par la main. Ce mot léger volette joyeusement dans l'air, juste au dessus des têtes qui traversent, se hâtant. Ses pépiements de linotte respirent la joie et chassent l'essaim de mouches qui m'étouffent en ce début de janvier.
Dans la rue, au coucher d'un soleil de début septembre, un grand garçon déguingandé, cuir noir, piercings, cheveux gelés et démarche de vautour, éctoue Hiro de la luna sur son portable en promenant un chien qui tient plus de la peluche que de l'animal, par sa taille et l'aspect duveteux de ses poils.